Perspectives marché

Back Market mise sur le commerce physique pour crédibiliser le reconditionné

October 3, 2025
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Paris, 25 septembre 2025 – Champion français du reconditionné électronique et vitrine d’un modèle 100 % digital, Back Market annonce l’ouverture d’une première boutique à New York et son arrivée dans 500 points de vente Bouygues Telecom en France. Cette décision marque un tournant pour une entreprise qui, depuis sa création en 2014, s’est imposée comme le leader européen du reconditionné. Mais le choix d’investir dans le commerce physique soulève des questions sur la cohérence de son modèle et sur la maturité d’un marché en recomposition.

Un marché arrivé à un point d’inflexion

Le marché français de l’occasion et du reconditionné a atteint 14 milliards d’euros en 2024, selon l’institut Xerfi, en progression de près de 10 % sur un an. L’électronique grand public, et en particulier le smartphone, en représente une part substantielle. Une étude Kantar menée pour Recommerce Group en février 2024 illustre ce basculement : 35 % des Français ont déjà acheté un mobile reconditionné par un professionnel, soit une progression de 4 points par rapport à 2023. Ces chiffres montrent que la confiance dans le reconditionné s’installe durablement dans les usages.

L’essor de la seconde main s’explique par plusieurs facteurs convergents : pression réglementaire (droit à la réparation, obligation d’afficher l’indice de réparabilité), inflation qui pousse les ménages à chercher des alternatives au neuf, et montée en puissance des plateformes spécialisées.

Back Market a largement bénéficié de cette dynamique. La société revendique 2,1 milliards d’euros de volume d’affaires en 2023, et table sur 3 milliards en 2025. En dix ans, elle a convaincu plus de 15 millions de clients, soutenue par des levées de fonds qui en ont fait l’une des start-up françaises les mieux valorisées du Next40.

Mais la concurrence s’intensifie. Fnac Darty développe ses rayons “Seconde vie”, qui ont généré 120 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2023, en croissance annuelle de 30 % (Ecommercemag). Amazon pousse son programme Renewed, fort de sa puissance logistique et de sa réputation mondiale. Les opérateurs télécom, Orange, SFR, Bouygues, multiplient aussi les offres de smartphones reconditionnés, souvent assorties de garanties prolongées.

Dans ce paysage, Back Market doit consolider ses positions et renforcer la confiance des consommateurs, un levier décisif dans un secteur où la qualité des produits et la solidité des garanties restent scrutées.

Une boutique pour rassurer et recruter

C’est dans ce contexte que Back Market a annoncé l’ouverture d’une première boutique à New York et son intégration dans 500 points de vente partenaires en France d’ici fin 2025 (L’Express Franchise).

L’objectif affiché est clair : lever les freins psychologiques liés à l’achat de reconditionné. Le contact physique, voir, tester, comparer, est jugé indispensable pour convaincre une partie des consommateurs. “L’avenir est à la réparation et aux magasins physiques”, a résumé Thibaud Hug de Larauze, PDG et cofondateur, dans une récente déclaration (ChannelNews).

La boutique doit aussi servir de vitrine de service. Back Market a lancé en parallèle une offre de réparation illimitée à 6,99 euros par mois (Ecommercemag). Smartphones, tablettes, consoles et appareils photo peuvent être diagnostiqués et réparés, y compris si l’appareil n’a pas été acheté sur la plateforme. De quoi élargir l’audience, fidéliser la clientèle existante et capitaliser sur un marché de la réparation estimé à plusieurs milliards d’euros en Europe.

Les synergies attendues

L’ouverture de points de vente n’est pas seulement un enjeu d’image. Elle répond aussi à des impératifs logistiques et commerciaux :

-Collecte et retours : transformer les magasins en hubs de reprise permet de réduire les coûts d’expédition et d’accélérer les flux de logistique inverse.

-Réduction des retours : un produit vu et testé en magasin est moins susceptible d’être renvoyé, ce qui améliore la rentabilité.

-Vente additionnelle : le magasin est aussi une opportunité de vendre accessoires, assurances et services.

-Acquisition offline : la présence physique peut capter une clientèle moins digitalisée, encore hésitante à franchir le pas en ligne.

En d’autres termes, Back Market cherche à bâtir un modèle omnicanal où le physique nourrit le digital et inversement.

Des coûts fixes à amortir

Cette stratégie n’est toutefois pas sans risque. Le modèle digital, jusqu’ici, permettait à Back Market de croître rapidement avec des coûts de structure maîtrisés. Le passage au physique implique loyers, charges, personnel et gestion opérationnelle.

Le principal danger est la cannibalisation : si les ventes offline se substituent aux ventes online, la marge globale pourrait se contracter. L’équation ne fonctionne que si le magasin génère un trafic additionnel, améliore la conversion et renforce la notoriété. Autrement dit, la boutique doit produire un “effet halo” positif sur l’ensemble de l’écosystème Back Market.

La question de la donnée

L’un des points les plus sensibles reste l’identité du distributeur qui opérera les 500 points de vente français. Back Market n’a pas dévoilé le nom de son partenaire. Or l’enjeu est crucial : qui contrôlera la donnée client ?

Si Back Market conserve la relation directe, il pourra enrichir son CRM, mieux comprendre les comportements d’achat et optimiser ses campagnes de réengagement. Dans le cas contraire, il risque de devenir un simple fournisseur, perdant une partie de la valeur stratégique qui repose sur la maîtrise des données.

Un pari international

L’ouverture à New York illustre l’ambition internationale de Back Market. Aux États-Unis, le marché du reconditionné est estimé à près de 20 milliards de dollars. Mais la concurrence y est rude, avec Amazon Renewed, Best Buy et une multitude d’acteurs locaux.

Le pari new-yorkais est donc autant un signal de crédibilité qu’un test grandeur nature. Si Back Market réussit à articuler ses canaux online et offline dans un environnement très concurrentiel, il pourrait renforcer sa position de leader mondial du reconditionné. Dans le cas inverse, l’expérience risquerait de peser sur ses marges et de brouiller son positionnement initial.

Une dynamique parallèle dans la mode

Cette stratégie n’est pas isolée. Dans la mode, la seconde main connaît une trajectoire similaire. Le marché mondial est estimé à plus de 100 milliards de dollars (BCG). Après avoir d’abord lancé des plateformes digitales, plusieurs marques premium françaises ont progressivement introduit la seconde main en boutique.

L’objectif est identique : rassurer, fluidifier les parcours et créer un relais de croissance. Sandro et Claudie Pierlot ont déployé des services de reprise accessibles en ligne et en magasin. ba&sh et Bellerose ont testé des pop-up stores exclusivement dédiés à la vente de collections d’occasion, afin de donner de la visibilité à l’offre et d’attirer de nouveaux publics dans leurs réseaux physiques.

Les résultats sont encourageants. Chez Balzac Paris, 90 % des bons d’achat générés par la reprise sont utilisés dans les trois mois, assortis en moyenne d’un panier additionnel de +50 % (données Faume). Dans ces cas, la seconde main devient un levier de fidélisation et un générateur de chiffre d’affaires incrémental, au-delà de son seul rôle écologique.

L’omnicanal comme condition de maturité

En se lançant dans le commerce physique, Back Market suit une logique déjà à l’œuvre dans d’autres secteurs : la seconde main ne peut se généraliser qu’en devenant omnicanale. Les boutiques jouent un rôle de réassurance, de collecte et de vitrine, mais elles ajoutent aussi une complexité opérationnelle et des coûts fixes élevés.

Dans l’électronique comme dans la mode, le défi est identique : transformer l’occasion en réflexe grand public sans fragiliser la rentabilité. Pour Back Market comme pour les marques de prêt-à-porter, la réussite de ce modèle dépendra de la capacité à intégrer en continu les flux online et offline, à contrôler la donnée et à démontrer que la seconde main peut être un moteur économique autant qu’un engagement durable.

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