Perspectives marché

Quand la seconde main bouleverse les codes du e-merchandising

September 23, 2025
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6 min de lecture

Alors que les plateformes de revente multiplient les références uniques, les marques de mode font face à un défi inédit : comment recréer de la fluidité dans un stock discontinu ? Entre moteurs de recherche intelligents, re-ranking dynamique et IA conversationnelle, l’avenir de la vitrine e-commerce se joue peut-être loin des pages catégories traditionnelles.

Le casse-tête du stock unique

Vinted revendique plus de 100 millions d’utilisateurs en Europe et Vestiaire Collective a dépassé le milliard d’euros de GMV en 2023. Des chiffres qui montrent l’ampleur de la demande. Mais derrière cette croissance, un paradoxe : l’expérience utilisateur reste fragile, car chaque article n’existe qu’en un seul exemplaire.

Dans le e-commerce traditionnel, les collections reposent sur des références multipliées en tailles et coloris. Une robe phare se décline en six tailles et trois teintes. Dans la seconde main, cette robe apparaît une fois, en une seule taille, parfois avec un défaut. Résultat : une probabilité élevée de frustration.

Sur les sites monomarques comme Sandro Seconde Main ou Isabel Marant Vintage, l’utilisateur arrive souvent avec une recherche précise (« robe noire en 38 », « blouson en cuir »). Or le stock ne peut pas garantir de profondeur. L’expérience peut se transformer en impasse.

À l’inverse, sur des plateformes multimarques comme Vinted ou The RealReal, l’offre est pléthorique, plusieurs millions de pièces disponibles en temps réel. Mais cette abondance se traduit par une complexité de navigation : il devient difficile d’isoler rapidement l’article pertinent sans passer par une recherche optimisée.

La recherche, nerf de la guerre

Une étude Baymard Institute révèle que 42 % des sites e-commerce souffrent d’une recherche interne défaillante, et que jusqu’à 70 % des abandons de panier sont liés à une recherche insatisfaisante.

Dans la seconde main, où le catalogue est fragmenté, cette faiblesse est fatale. La qualité des métadonnées produits (taille, matière, couleur, état) devient critique. Une simple erreur d’attribut peut rendre une pièce invisible.

Les usages reflètent cette réalité :

-La recherche directe domine (mots-clés : « manteau oversize », « sneakers Nike 42 »). Elle suppose une rigueur d’indexation.

-La navigation exploratoire reste fréquente : l’utilisateur scrolle, filtre par prix ou couleur, compare. Mais dans un stock discontinu, les filtres classiques montrent vite leurs limites, comment filtrer par “nouveautés” si chaque pièce est unique et ne revient jamais ?

Sans une recherche intelligente, le risque est double : perte de ventes immédiates et érosion de la satisfaction client.

L’IA, nouveau merchandiser

Face à ces défis, l’intelligence artificielle s’impose comme un levier décisif. Trois axes dominent :

Le re-ranking dynamique
L’ordre d’affichage s’ajuste automatiquement selon les signaux en temps réel : clics, taux de conversion, historique d’achat. Sur Vinted, un même mot-clé ne renvoie pas le même classement à deux utilisateurs différents. L’algorithme maximise la probabilité de clic et de vente.

L’assistance conversationnelle
Inspirée des usages ChatGPT, elle permet à l’utilisateur d’exprimer un besoin en langage naturel (« Je cherche une veste longue mais légère pour l’automne »). The RealReal teste déjà des interfaces de ce type, et certaines solutions B2B comme Algolia ou Coveo développent ces moteurs “sémantiques”.

La personnalisation prédictive
Les outils comme Attraqt, Nosto ou Dynamic Yield recomposent les pages en fonction du profil client. Une cliente qui achète des sacs de luxe seconde main ne verra pas la même homepage qu’un jeune homme recherchant des sneakers en édition limitée.

Dans la seconde main, « le moteur de recherche devient le vrai vendeur ».

Les solutions B2B disponibles

Un écosystème SaaS entier s’est développé pour répondre à cette problématique :

Algolia, Klevu, Coveo : moteurs de recherche e-commerce, capables de comprendre synonymes, fautes de frappe, langage naturel.

Crossing Minds, Attraqt : plateformes spécialisées dans la recommandation produit basée sur le machine learning.

Nosto, AB Tasty, Dynamic Yield : personnalisation de l’expérience et tests A/B pour optimiser la conversion.

Appliqués à la seconde main, ces outils deviennent vitaux. Un mauvais moteur de recherche sur une offre de 50 000 articles uniques peut réduire le taux de conversion de moitié. À l’inverse, un système bien calibré augmente le temps passé, réduit les abandons, et fait grimper le chiffre d’affaires.

SEO vs GEO : quelle vitrine demain ?

Un autre bouleversement silencieux s’invite dans le paysage : celui du SEO, longtemps pierre angulaire du e-commerce. Les plateformes de seconde main ont prospéré grâce au référencement naturel. Une recherche Google du type « robe Sandro noire seconde main » menait directement à des fiches produit. Mais demain, avec l’essor des moteurs conversationnels, la règle change. Les requêtes deviennent plus complexes – « Trouve-moi une robe Sandro en 38, en dessous de 150 € » – et la vitrine n’est plus la même. Les assistants IA n’affichent pas une page de résultats, ils orientent vers une réponse unique. Dans ce schéma, la performance ne dépend plus du SEO classique, mais du GEO, le Generative Engine Optimisation.

Deux trajectoires se dessinent. Dans la première, les pages éditorialisées disparaissent et chaque fiche produit vit seule, indexée et remontée directement par l’IA. Dans la seconde, plus hybride, les fiches produits dominent mais l’éditorial garde un rôle clé : inspirer, raconter la marque, créer la fidélité. Dans les deux cas, les implications pour la mode sont majeures. Structurer les données – tailles, matières, état, prix, durabilité – devient aussi stratégique que la qualité du shooting photo. L’éditorial n’est plus un outil de captation mais un levier de réassurance et d’image.

Certaines initiatives concrétisent déjà ce futur. Stripe s’est récemment associé à OpenAI pour permettre un achat direct au sein de ChatGPT : l’utilisateur découvre un produit, le sélectionne et le règle sans quitter la conversation. Dans un premier temps, cette fonctionnalité s’applique aux marchands Etsy, puis bientôt à ceux de Shopify. Le tout repose sur un nouveau standard ouvert – l’Agentic Commerce Protocol – codéveloppé par Stripe et OpenAI pour rendre ces expériences scalables. C’est une étape majeure : l’e-commerce n’est plus seulement une vitrine, il devient une interaction.

Dans un monde où l’intelligence artificielle filtre et oriente les choix, la différenciation ne reposera plus seulement sur le référencement mais sur la qualité des données et la force de la marque

Un enjeu économique stratégique

Le merchandising en seconde main n’est pas qu’une question d’UX. C’est un enjeu économique majeur :

-Un site mal outillé perd des ventes directes, mais aussi de la fidélité client.

-À l’inverse, un moteur de recherche performant et une personnalisation prédictive augmentent mécaniquement le taux de conversion, la valeur moyenne des paniers et la répétition d’achat.

Dans un secteur où les marges sont plus serrées que sur le neuf, la différence entre un taux de conversion de 0,7 % et de 1,4 % peut décider de la rentabilité du programme.

La mode entre dans l’ère des moteurs intelligents

La seconde main impose un nouveau paradigme : un merchandising qui n’est plus construit autour de la collection, mais autour de la donnée et de l’IA.

Les marques qui sauront enrichir leurs fiches produits, investir dans des moteurs intelligents et adapter leur référencement à l’ère conversationnelle transformeront une contrainte en avantage compétitif.

Dans un monde où chaque pièce est unique, ce n’est plus la profondeur du stock qui fait la différence, mais la qualité de l’algorithme qui permet de le révéler.

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